TRANSCRIRE LE SCRATCH
Les Prémices
Alors évidemment, vous vous doutez bien que je ne suis pas le premier à vouloir transcrire le scratch sur papier, voir même sur partition. Donc avant de vous parler de ma méthode, je vais vous présenter les deux seules que je connaisse, afin de vous expliquer pourquoi je les ai recalées.
Pierre Schaeffer - Entretient avec un jeune auteur (extrait) 1969
Le scratch est issu de cette génération qui s’est développée dans un contexte éloigné (volontairement ou non) de l’apprentissage de la musique classique. Mais comme je l’ai expliqué précédemment, le scratch est un langage, et un langage qui s'est complexifié. À tel point qu'il a paru nécessaire à certains de recourir à nouveau à l’écriture au moins pour retenir les techniques, mais aussi pour les transmettre. Le scratch a eu besoin, comme les chants Grégoriens du IXe siècle d'avoir ses propres neumes afin de se perpétuer.
C’est ainsi qu’en 1996 un vidéaste nommé John Carluccio publie un système dont il a eu l’intuition à force d’observer les djs qu’il rencontrait et qu’il filmait. Il a appelé son système le TTM pour Turntablist Transcription Methodology.
Le principe est simple, clair, et figuratif. Il représente à la manière d’un sismographe le mouvement du scratch. Car le scratch, c’est finalement que deux paramètres qui évoluent en fonction du temps. Il y a le mouvement du disque (d’avant en arrière), et la découpe du son (potentiomètre ouvert ou fermé).
Donc en allant sur le site TTM-DJ.COM on peut télécharger une notice. John Carluccio nous propose d’utiliser une grille qui représente le cours du temps.
Vous pouvez déjà constater que la grille en question nous impose une structure pré établie. Elle est découpée en sections qui symbolisent des mesures, mesures découpées elles même en 16, ce qui correspond en fait à 4 temps binaires. Car pour Carluccio, la musique, c'est forcément des mesures de 4 temps binaire.
Quand je vous dis que le scratch a besoin de se défusionner du hip hop...
Sur cette grille donc, qui par sa hauteur représente la longueur de son que l’on va manipuler (point de départ en bas, point d'arrivée en haut), on y inscrit une sorte de sinusoïde. La courbe monte lorsque le disque tourne à l’endroit, elle descend lorsqu’il est joué à l’envers, il y a un trait lorsque l’on entend du son, et rien (ou un point), lorsque que le son est coupé.
Je ne peux pas vous donner tous les détails ici mais de mon point de vue c’est bien la meilleure des façons de représenter un scratch. D'ailleurs, absolument tout le monde utilise cette méthode partout dans le monde, pour soi, ou pour enseigner.
Pour mieux comprendre ce système, voici une célèbre vidéo faite à l'époque par Carluccio et Dj Rob Swift à partir d'une de ses routines de compétition :
Et aujourd’hui c’est allé encore plus loin, car la technologie nous permet de tracer ces mouvements en direct.
C'est très bien, mais si vous vous rappelez du sujet que l'on traite, à savoir la réconciliation entre la musique expérimentale et la musique classique, vous comprenez qu'il manque quelque chose à cette méthode. Il manque le langage. On a la forme du scratch, on peut y deviner le mouvement, mais aucune idée claire du rythme que l'on doit faire, et il est impossible d'intégrer ça à une partition.
Nous sommes face à ce que Pierre Schaeffer appelait "la partition du faire et non de l'entendre"
Méthode recalée
Petite parenthèse pour vous parler de cette belle initiative appelée Scratch Graphique, une collaboration entre les célèbre Birdy Nam Nam et Laurent Burte, qui est en fait une façon d'écrire le scratch sur la base du TTM, avec les mêmes avantages et les mêmes limites, mais en bien plus beau.
Je vous invite vraiment à feuilleter cet ouvrage.
Mais malgré l'effort, la beauté du geste et l'aspect historique de l'oeuvre...
Méthode recalée.
TRANSCRIRE LE SCRATCH
Les Premières Partitions
Je connais deux autres Djs ont constaté la même chose que moi, à savoir DJ radar et un certain Alexander Sonnenfeld. DJ radar a eu l'ambition de jouer avec un orchestre, et pour ça il a naturellement cherché à transcrire ses scratches sur partitions pour des raisons bien naturelles.
Alors je n’ai pas très bien compris si Radar et Sonnenfeld ont développé cette écriture ensemble ou si l'un l'a initié en premier. Lorsque je l’ai découverte (et instantanément abandonnée), vers 2005 c’est Radar qui en parlait. Mais comme entre temps c'est l'allemand Sonnenfeld qui l'a développée et documentée, c'est de sa méthode dont je vais parler aujourd'hui.
J'ai donc replongé 14 ans plus tard dans cette Scratch Notation, mais elle ne me convient pas non plus, et voici pourquoi :
Premièrement, il ne prend pas la portée comme une indication de la position dans le son (comme avec le TTM) mais comme une indication de l’intensité du geste. Chez lui la ligne du milieu symbolise la vitesse normale. Plus on monte, plus on joue le son rapidement, plus on descend, plus on le joue lentement. Il veut retrouver la hauteur de note au détriment de la forme du scratch, et je trouve ça dommage car il va falloir qu’il trouve tout un tas d’autres signes pour symboliser les techniques à utiliser, ce qui rendra ses partitions très vite illisibles.
Deuxièmement, il utilise des couleurs, et ça je m’y refuse.
Et troisièmement, je suis tombé là-dessus
On voit une note, on entend deux sons, merci au revoir.
Méthode recalée.
Me voici donc à l'époque bien embêté. Je me contente d'écrire à la main une forme en TTM par dessus laquelle j'ajoute une ligne pour y inscrire le rythme. C'est suffisant pour mon utilisation personnelle ou pour donner des cours, alors je m'en contente. Ça donnait ce genre de choses :
Et puis un jour...